METTRE
SA LANGUE DANS SA POCHE
C'est
pratiquement impossible, même pour ceux qui ont la langue bien
pendue. Un fourmilier en pantalon y arriverait peut-être, mais ils
sont rares. Il vaut donc mieux ne pas avoir la langue dans sa poche
mais savoir la tenir sans pour autant la tirer. Certains choisissent
la langue de bois. C'est une façon de ne pas avoir à la donner au
chat, qui ne saurait qu'en faire ! D'ailleurs, les félins
préfèrent de loin les langues de vipère, plus piquantes. Certains
minets d'appartement ont cependant croqué, à leur insu, des
langues-de-chat. Mais je ne dénoncerai pas leurs maîtres, je ne
veux pas être mauvaise langue. Quant à tourner sept fois sa langue
dans sa bouche avant de dire un non sens comme « autant pour
moi », il vaut mieux dire ce que l'on pense, puis se la mordre
et pousser un bon cri suivi d'un juron dans sa langue d'oc.
PRENDRE LE TAUREAU PAR LES
CORNES
À
éviter à moins d'être un forcado portugais. Si vous voulez à tout
prix prendre l'animal, prenez le par surprise et par la queue. Un
coup de patte vaut mieux qu'un coup de corne.
En
réalité, le taureau est fait pour être évité. Quand il est évité
de façon artistique, on dit « toréé ». Dans les
abattoirs, il est pris par traîtrise, conduit dans le couloir de la
mort sans pouvoir se défendre, et tué au pistolet pneumatique. Il
n'est qu'un numéro qui ne vaut que son poids en viande. Dans une
arène, il a un nom, une origine, il peut se défendre et meurt au
combat. Si sa bravoure est exceptionnelle, il peut même être gracié
et retrouver les plaines d'Andalousie ou d'Estrémadure. Les
anti-corrida ne comprennent pas l'amour du taureau qu'ont les
« ganaderos », les « toreros » et les
« aficionados ». Sans corridas, le « toro bravo »
n'aurait plus sa raison d'être et on n'en verrait que quelques
exemplaires déprimés dans des parcs animaliers, accompagnés d'une
paire de zébus ou de bisons d'Europe. Laissons-les donc vivre en
liberté (surveillée) et mourir dignement.
CHAT
ÉCHAUDÉ CRAINT L’EAU FROIDE
En
réalité, tous les chats craignent l’eau, qu’elle soit froide,
tiède ou chaude. Ils savent qu’ils ont échappé par miracle à la
noyade dans une bassine à laquelle sont condamnés la plupart de
leurs frères et sœurs à la naissance. Donc, dispensez-vous de les
ébouillanter pour vérifier qu’ils craignent aussi l’eau
froide. La réponse est connue d’avance. A choisir, faites
l’expérience avec un homard, un tourteau ou une langouste. Ce sont
des animaux qui ne crient pas au contact de l’eau bouillante et de
plus, ils ne craignent pas non plus l’eau froide puisqu’ils en
sortent. Et puis il faut reconnaître qu’avec un peu de mayonnaise,
ils remplacent avantageusement le chat dans une assiette.
ABREUVER
QUELQU’UN DE COMPLIMENTS
Activité
propre des pots de départ à la retraite. Après avoir bu quelques
verres d’apéritif, le directeur ou chef d’entreprise abreuve de
compliments le futur retraité en faisant son éloge funèbre de
travailleur salarié. Un verre dans la main gauche et une feuille un
peu froissée dans la droite, il retrace le parcours du combattant du
partant qui sait ce qui l’attend dans les mois à venir :
revenus moindres, sentiment d’être inutile et en marge de la
société, problèmes de santé liés à l’oisiveté, devoir
supporter son conjoint beaucoup plus d’heures par jour et regarder
« Des Chiffres et des Lettres » à la télévision pour
constater la baisse progressive de ses capacités intellectuelles. A
son tour, il remerciera son directeur ou chef d’entreprise,
abreuvant d’éloges ses anciens collègues qui viennent de lui
remettre un bon d’achat correspondant au tiers du prix du voyage en
Corse qu’il pense faire en septembre pour oublier que d’habitude
à cette même époque il reprend le travail.
Une
fois les discours terminés, tous les présents continueront à
s’abreuver d’apéritif anisé, de vin doux et de compliments
avant de prendre le volant. Pour la Sécurité Routière, il vaudrait
mieux remplacer cette formule par « abréger quelqu’un de
compliments ».
LES ABSENTS ONT TOUJOURS
TORT
Affirmation
absurde. Demandez ce qu’ils en pensent à ceux qui n’avaient pas
pris à temps leur billet pour assister à un certain concert au
Bataclan. Ou à ceux qui au dernier moment ont préféré partir en
vacances à Tahiti plutôt qu’à Mexico sous les secousses
sismiques, ou en Martinique balayée par un cyclone.
En
réalité, les absents ont parfois raison. Mais ils doivent cependant
éviter que leur absence soit remarquée, surtout sur leur lieu de
travail. Car trop d’ absences tuent l’absence et la transforment
en présence indésirable, donc en absence définitive.
Absence
de travail, de revenus, d’amis, d’avenir. Il faut donc trouver le
juste milieu. Les portugais ont adopté la bonne formule : il se
complaisent dans un sentiment qu’ils appellent la "saudade" et dont la définition serait "la présence de l’absence".
François Lassabe