ARio, Wilson das Neves, mort samedi à 81 ans, était l'un des ultimes gardiens de la mémoire : un batteur-percussionniste, doublé d'un chanteur et compositeur à ses heures, qui pouvait se targuer d'avoir enregistré, avec plus de 600 artistes, plus de 1 000 disques selon certains. Cartola, Wilson Simonal, Ed Lincoln, Elis Regina, João Donato, Candeia, Roberto Silva, Elza Soares : toute la musique brésilienne est ainsi passée dans ses doigts. «L'unification de ce pays-continent s'est faite par le rythme des Africains. Leur magie irrigue toute notre musique, un héritage que l'on se transmet depuis toujours. De la samba au bailes funk», analysait-il voici dix ans sur la terrasse baignée de soleil de sa maison à Ilha do Governador. C'était là, non loin de l'aéroport Antônio-Carlos-Jobim, qu'il cultivait son jardin secret, des cactus et épineux amassés sur tous les continents. Ceux-là mêmes qu'il avait parcourus, avec Chico Buarque, qu'il accompagna pendant des décennies, du fameux Essa Moça ta Diferente, enregistré en 1970 mais qui deviendra l'hymne Schweppes en 1988, jusqu'à Chico (2014), l'un des derniers recueils où les deux complices dialoguaient en toute intimité.
Pilier
«Au Brésil, l'art a été un bon ascenseur social, comme l'armée. Moi, j'ai fait les deux !» Sourire au coin des lèvres, le personnage savait bien d'où il venait : né à Gloria dans une famille émigrée du Sergipe, Wilson das Neves a commencé sa carrière en 1954 à l'orchestre de l'école, puis l'école des bals gafieira, en périphérie, avant de partir pour la zone sud, du côté des rivages de Copacabana, «là où l'argent coulait». Mambo, cha-cha-cha, boléro, et puis surtout samba, matrice essentielle pour tout Carioca. «Wilson avait dans les mains toutes les percussions de la samba», résumait ainsi en 2007 le producteur Berna Ceppas, l'un des cofondateurs de l'Orquestra Imperial, qui regroupe toute la jeune garde branché de Rio… et Wilson das Neves, alors fringuant septuagénaire à qui l'on devait aussi d'avoir fondé les mythiques Os Ipanemas.
«Pour la musique brésilienne, c'est la fin d'une ère», confie aujourd'hui Kassin, autre membre de l'Orquestra Imperial et l'un des piliers de la bande-son actuelle de Rio. Il ne masque pas sa douleur. Comme Caetano Veloso, comme son fils, Moreno, qui ont de suite réagi sur les réseaux à la triste nouvelle.
Curiosité
En juin 2016, Wilson das Neves fêtait ses 80 ans dans le centre de Rio, lors d'une grande convention de disques. Les amateurs ne s'y étaient pas trompés, tant son doigté fait merveille sur des tas de galettes. Mais aussi sur ses propres albums, une dizaine, qui éclairent au fil du temps sa curiosité sans frontière. Sur ses disques les plus récents, Wilson das Neves chantait d'une voix voilée dont les légers abîmes ne font que magnifier la beauté de textes couleur pastel, la plupart signés de son fidèle ami Paulo César Pinheiro. A l'image de Velha Guarda do Império Serrano, une samba sans âge qui salue les gardiens de l'oriflamme d'Império Serrano, son école de samba. «Je lui ai tout donné et elle me l'a toujours rendu au centuple !» nous avait confié ce seigneur qui, pour avoir grandi dans les quartiers déshérités, n'en était pas moins un aristocrate de la musique carioca au même titre que le poète sambiste Noël Rosa.
Depuis samedi, tout Rio le salue : Império Serrano, sacrée championne en 2017, a décrété un deuil de trois jours. Le corps du vénérable vétéran y a été transporté, et de nombreux musiciens ont honoré une dernière fois celui qui publia en 2010 Pra Gente Fazer Mais Um Samba. Pour une samba de plus, comme un recommencement par celui qui sut transmettre sa passion jusqu'au bout. Le batteur Stéphane San Juan, émigré de longue date à Rio, eut l'heur de profiter de ses leçons de musique. «J'ai eu la chance de boire son savoir durant quinze ans et j'en suis transformé pour toujours. La batterie mondiale perd un de ses maîtres tambours, je perds mon père spirituel, mon idole, mon meilleur ami. Repose en paix dans tes neiges éternelles, Das Neves.»
source: Libération